Chris au coeur brisé

On le trouve toujours au même endroit, debout, occupé à aider les automobilistes à se garer ou au contraire à sortir du parking. Le tout à l’aide d’un vocabulaire de moulinets des bras et de signes de la main, comme un chien jaune sur la piste d’un porte-avion. Ou bien, on le trouve assi sur sa chaise de plastique rouge. Juste en face du campus. C’est là qu’il garde les voitures, dans l’espoir d’une petite pièce. Le gardiennage de voitures est un emploi très commun en Afrique du Sud.

Chris salue toujours les gens. Même ceux qui n’ont pas de voiture, comme moi. Il trouve toujours un mot gentil, au moins un « how are you? » avec le sourire. Il a été l’une des rares personnes ici à me demander comment ça allait, chez moi, après ce qui s’était passé à Paris. Chris vient de Ermelo, au Mpumalanga. Ca fera trois ans bientôt qu’il vit ici, dans la rue, à Pretoria, loin de sa famille. Il n’a plus beaucoup de nouvelles parce qu’ils ont changé de numéro de téléphone, il y a deux mois. Maintenant il a peur de ne pas avoir l’argent pour rentrer à Noël. Il y a quelque temps, il a trouvé un travail à la pièce, de la peinture sur un chantier. Ceux qui l’avaient embauché lui avaient promis 1.200 rands (80 euros). Mais ils ont soudainement… disparus de la circulation.

Quand je lui demande de dessiner quelque chose, il s’applique avec une grande patience à tracer de nombreuses courbes, repassant les mêmes lignes encore et encore. « Je te fais pas perdre ton temps ? ». « Non, pas du tout. Eh bien mon vieux on dirait que tu aimes dessiner. » « Oui, j’aime ça. Mais tu vois, ça fait longtemps. » Je regarde le dessin prendre forme. « Tu dessines quoi là, Chris ? »

« Ce que je dessine ici, c’est un coeur brisé. Pour que chacun puisse voir ce que c’est qu’un coeur brisé, quand on parle de coeur brisé. Au fait, je m’appelle Christopher. »

Comme il semble avoir terminé, enfin satisfait de son travail, je lui pose la question: « Tu as le coeur brisé, Chris ? » « Oui, j’ai le coeur brisé. »

« Oui, je pensais à ceux qui sont partis avec mon argent tu vois. Mais maintenant ça va, parce que je crois que Dieu sait ce qui se passe. Je remets tout entre les mains de Dieu. »

Youri