Encore un samedi après-midi ensoleillé au parc Burger’s, dans le centre ville de Pretoria, Afrique du Sud. Comme à mon habitude, je m’occupe à ne rien faire de particulier. Je déambule dans les avenues, j’essaie de croquer une silhouette. Et puis je me pose à l’ombre, sur une pelouse verte et fraîche. Quelqu’un s’approche. C’est Edith. Elle étatit assise un peu plus loin, sous un arbre. Avec une copine et un copain. Des « chommies » quoi.
Mon gribouillage l’intrigue. Je ne tarde pas à la décevoir en la laissant feuilleter mon carnet. Mon accent me trahit. Elle est aussi curieuse de la France, même si elle ne connaît rien de ce pays-là. Quand même, ça lui plairait de visiter. Elle voudrait voir le monde.
partout les gens se battent, encore et encore
Je lui parle de ce qui vient de se passer à Paris. Les attentats. Comment je ne peux m’empêcher de m’inquiéter de la suite, là-bas, chez moi. Edith me répond qu’il n’y a aucun pays où les gens vivent vraiment en paix.
il n’y a pas d’endroit en paix partout on se bat encore et encore même ici en Afrique du Sud, les gense se battent. on vit dans la peur
je n’aime pas ça
les gens ne s’aiment pas, ne prennent pas soin les uns des autres
quelques uns si, non, parfois ?
ils sont très rares
c’est triste …c’est triste si c’est vrai
c’est vrai, je parle d’expérience
En vérité, Edith surnage dans sa mélancolie aujourd’hui. Elle vient de perdre son job. Depuis quelques semaines elle était en période d’essai dans un restaurant. Et puis, une manager jusque-là absente est revenue et a décidé de la virer. Comme ça, sans raison. Alors qu’elle faisait du bon travail. Un sentiment profond d’injustice et d’absurde l’a envahie. D’un coup il lui semble que la vie sera toujours aussi injuste et absurde, dans ce pays. Rebellion et fatalisme se partagent les restes de son coeur brisé. En ouvrant le carnet de dessin, elle s’est arrêtée sur le coeur dessiné par Chris.
les larves de Mopane
Je raconte à Edith le peu de voyage que j’ai déjà fait ici en Afrique du Sud. Comment je suis fier, il y a déjà de nombreuses années, d’avoir acheté et mangé des larves de Mopane. Le Mopane est un arbre qui, à la saison, se couvre des larves d’une mite, de grosses et grasses larves blanches qu’on récolte, fait sécher. Et qu’on déguste. Je les avais trouvé sur un marché de Tohoyandou, dans le Venda.
A l’époque, je n’avais aucune idée de la façon dont elles se cuisinent.
tu sais pas comment les préparer?
t’as qu’à les faire bouillir. tu les sales et tu les trempes dans l’huile, pour les frire.
et tu les manges
c’est bon
moi aussi j’aime ça, les larves de Mopane
Là-bas, sa copine l’appelle.
Elle crie:
« – Qu’est-ce que tu fais??!
– Je dessine!! »
Et la chommie nous rejoint. Avec sur son visage, le sourire d’une souris espiègle. Salut, je m’appelle Winkiiey. Avec deux ‘i’. On discute. Derrière nous, la balançoire du bac à sable grince. Comme ces gamins semblent heureux ! Innocents et insouciants ! Quand on est gamin, la seule chose qui nous préoccupe, c’est… de manger.
manger… et jouer
t’as pas de problèmes, tu t’inquiètes de rien
tu t’inquiètes seulement de manger…
de manger et de jouer
Pour nous, c’est les garçons, les livres, le travail, notre avenir, l’argent
moi: certaines de ces choses sont agréables non?
oui, l’argent
moi: l’argent? pas… les livres? ou les garçons?
non, les garçons c’est pas important, mais ça nous inquiète
à quoi bon, on sait pas, mais ça fait partie de la vie
Maintenant il est temps de partir. Mais où ? Là où on ne brise pas les coeurs des jeunes filles ?
ils jouent avec nous et nous laissent avec le cœur brisé
je veux aller avec toi là-bas
trouver un travail, rester là-bas, me marier, avoir des enfants
moi: en Europe?
oui! je veux vivre à l’étranger
moi: pourquoi à l’étranger ?
je sais pas …je pense que.;
c’est différent…
il y a beaucoup d’opportunités là-bas
j’ai jamais aimé ici…
ici, ils ne font que jouer avec notre cœur… notre propre pays !
ils jouent avec nous et ils nous laissent avec le cœur brisé
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